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l'île naufragée (cycle les îles du désir) 2022/2023

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Nauru, en Océanie, est passé en moins de vingt ans du pays le plus riche à l’un des plus pauvres au monde. Son histoire pourrait être une fiction littéraire où folie des grandeurs et cupidité ont transformé une île paradisiaque en un effondrement écologique, économique et social. L’île naufragée prend les atours d’un conte métaphorique de l’anthropocène pour figurer un des grands désastres du XXème siècle. La série pointe la dimension allégorique de la plus petite république du globe, cette île au trésor qui aurait peut-être mieux fait de le laisser enfoui sous terre.

À Nauru tout commence - et s’arrête - avec le phosphate qu’un géologue découvre par hasard au début du siècle dernier, intrigué par une pierre qui sert à caler une porte de bureau. L’exploitation démarre alors par des puissances étrangères qui se succèdent et qui vont appauvrir son sol pour enrichir le leur. À son indépendance en 1968 les centaines de millions de dollars de l’industrie minière font du nouvel état le plus riche du globe, qui les redistribue fort généreusement à sa population. Parallèlement Nauru investit sa fortune dans la spéculation immobilière et financière. Pendant deux décennies d’euphorie le petit peuple de pécheurs adopte le mode de vie occidental, se met à hyper-consommer et à dépenser sans compter.

Mais le jour des comptes arrive au milieu des années 90s quand le phosphate s’épuise et ainsi les revenus quasi-exclusifs de l'île. Entre folie des grandeurs, corruption et inexpérience des décideurs, les investissements immobiliers se révèlent catastrophiques et sont revendus à perte. Désastre économique et écologique, le pays sombre et devient l’un des plus pauvres de la planète.

Au tournant du XXème la totalité de l’île était recouverte d’une dense forêt tropicale ; aujourd’hui c’est en grande partie un désert inhabitable. La population est concentrée sur la mince bande côtière à l’allure trompeuse d’éden tropical. Mais topside, le plateau central qui constitue les quatre cinquièmes de l’atoll, ressemble à un champ de ruines où se dressent à perte de vue les pinacles, colonnes de corail reliquats d’un siècle d’extraction à coups de pelles mécaniques du phosphate qui les enserrait.

J’ai photographié la dichotomie du topos nauruan avec d’un côté le lagon à l’eau turquoise et les palmiers qui ceinturent l’île et de l’autre, juste derrière ces quelques arbres qui ne cachent plus aucune forêt, des paysages de désolation. À mon retour j’ai fait subir aux négatifs un traitement chimique à base d’acide phosphorique. Le procédé altère l'émulsion, n'épargnant que la seule gamme du rouge, produisant un rendu esthétique qui nous emporte vers la (science) fiction ou la fable mythologique. A l’image de l’île, ces originaux ainsi sacrifiés dans le phosphate en ressortent irrémédiablement transformés et appauvris, comme une alchimie inversée.

Mais si Nauru évoque le mythe de l’île au trésor, il n’est pas ici question d'île déserte et il me fallait “peupler” cette fable documentaire. Ainsi, une armée de balayeuses s’emploie, de jour comme de nuit, à chasser de la route la poussière de phosphate qui recouvre l’île entière. Ballet absurde et perpétuel, cet incessant combat perdu d’avance ajoute à la dimension mythologique d’une contrée résolument singulière.

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Ce projet a été soutenu par le Cnap, La Fondation des Artistes et le « Prix Photographie & Sciences » de la Résidence 1+2.

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